En réinventant la doctrine Monroe sous une forme national-populiste, Donald Trump cherche à restaurer l'hégémonie américaine dans un contexte de compétition stratégique avec la Chine. Le « corollaire Trump » n'est pas qu'un geste symbolique : il annonce une politique de puissance assumée dans les Amériques.
«Revigorée par mon corollaire Trump, la doctrine Monroe est bien vivante - et le leadership américain revient plus fort que jamais » (Président Trump).
La déclaration de Donald Trump à l'occasion de l'anniversaire de la doctrine Monroe réinterprète le principe originel de 1823 - la non-ingérence des puissances extérieures dans l'hémisphère occidental - en une affirmation élargie et idéologiquement chargée d'une primauté souverainiste des États-Unis.
Le « corollaire Trump », formulé officiellement dans ce document présidentiel, reflète l'effort du président américain pour façonner son héritage en tant qu'architecte décisif de la puissance américaine, en contrant les récits qui présentent son mandat comme un facteur du déclin géopolitique et économique brutal du pays.
Il fonctionne non seulement comme repertoire symbolique, mais aussi comme instrument géopolitique destiné à encadrer des récits stratégiques justifiant une posture américaine plus assertive dans l'hémisphère, illustrée par des propositions telles que la prise de contrôle du canal de Panama, l'intégration du Canada et du Groenland, ou encore le changement de nom du golfe du Mexique en « golfe de l'Amérique ».
Le « corollaire Trump » constitue une tentative désespérée de reconfigurer la politique hémisphérique autour de cinq axes géopolitiques :
- Réaffirmation de l'hégémonie américaine dans l'hémisphère occidental
Le texte positionne les États-Unis comme arbitre incontesté des dynamiques politiques, économiques et sécuritaires des Amériques. En reliant la doctrine Monroe au « rétablissement d'un accès privilégié au canal de Panama » et à la « restauration de la domination maritime américaine », il signale une remobilisation de la puissance dure sur des infrastructures et voies maritimes stratégiques.
- Construction des acteurs externes comme menaces systémiques
Bien que la proclamation n'évoque aucun État explicitement, les références à des « nations étrangères », à des « puissances lointaines » et aux « pratiques non-marchandes dans les chaînes logistiques » renvoient clairement aux inquiétudes concernant l'expansion économique, technologique et logistique de la Chine en Amérique latine. Le nouveau corollaire présente les actions américaines comme des mesures de protection face à l'empiètement d'acteurs extra-hémisphériques.
- Articulation entre souveraineté interne et contrôle hémisphérique
Le message mêle des thèmes intérieurs - contrôle des frontières, lutte antidrogue, protectionnisme commercial - à une stratégie externe. En affirmant que les « institutions globalistes » ne détermineront pas le destin des États-Unis, la proclamation fait dériver la doctrine Monroe d'un énoncé anticolonial classique vers une doctrine plus large de souveraineté national-populiste, refusant le multilatéralisme et présentant le leadership hémisphérique comme une condition permettant de façonner les trajectoires politiques et économiques internes des gouvernements latino-américains.
- Réalignement commercial hémisphérique
L'accent mis sur des « accords commerciaux historiques » avec le Salvador, l'Argentine, l'Équateur et le Guatemala inscrit la diplomatie économique dans une stratégie de consolidation géopolitique, visant à ancrer les chaînes de valeur autour des États-Unis et à réduire la dépendance latino-américaine envers des marchés extérieurs, tout en soutenant les gouvernements de droite et d'extrême droite via des arrangements préférentiels et des prêts politiquement affinitaires.
- Durcissement des paradigmes sécuritaires
Les thèmes de l'interdiction des drogues, des « réseaux narco-terroristes » et de la protection des frontières étendent la doctrine au domaine de la gouvernance sécuritaire transnationale. Le « corollaire Trump » de la doctrine Monroe devient ainsi une justification des ingérences et interventions américaines dans les pays latino-américains, menées au nom de la sécurité intérieure des États-Unis et de la stabilité régionale.
Interprétation géopolitique
Le « corollaire Trump » acquiert toute sa portée géopolitique lorsqu'il est lu à travers le prisme de la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine en Amérique latine.
En réaffirmant la souveraineté hémisphérique et en dénonçant l'influence de « puissances étrangères » et de « pratiques non conformes au marché », le message vise implicitement l'expansion chinoise dans la région, qu'il s'agisse de la gestion portuaire, des infrastructures critiques, des télécommunications, de l'énergie ou encore du financement des matières premières. Au cours des deux dernières décennies, Pékin est devenu un partenaire commercial et un créancier majeurs pour plusieurs États latino-américains, dont beaucoup s'appuient sur les investissements chinois pour diversifier leurs dépendances économiques.
Le Venezuela demeure une cible particulièrement attractive pour la politique américaine sous Donald Trump - non pas avant tout pour des raisons idéologiques ou au nom de la « promotion de la démocratie », mais en raison de sa valeur stratégique brute. Sur le plan économique, le pays possède certaines des plus vastes réserves de pétrole prouvées au monde (environ 17 % du total mondial), ce qui lui confère un attrait immédiat et considérable en tant que ressource.
Le Venezuela offre ainsi aux États-Unis un double avantage : des ressources naturelles de grande valeur et un point d'ancrage géopolitique en Amérique latine capable de contenir l'influence de la Chine, de la Russie et même de l'Iran. Il s'agit d'une priorité stratégique qui dépasse largement les discours sur la lutte antidrogue ou l'action humanitaire.
La proclamation de Trump cherche à inverser cette trajectoire en réaffirmant la primauté américaine comme acteur politique, économique et sécuritaire central dans l'hémisphère occidental, signalant aux gouvernements latino-américains qu'un alignement plus étroit avec Washington est désormais présenté comme condition d'un accès stable aux marchés, à la coopération sécuritaire et aux réseaux logistiques américains. Ce faisant, le « corollaire Trump » transforme la doctrine Monroe en instrument de confinement stratégique visant explicitement à réduire l'influence chinoise, bien plus qu'à exclure simplement les puissances extra-régionales.
Toutefois, la majorité des Latino-Américains ne partagent pas la vision de Trump. Pour eux, la Chine apporte des investissements et des financements tangibles sans exiger de contreparties idéologiques, telles qu'un changement d'orientation économique ou de régime politique. À l'inverse, la politique sécuritaire de Trump est perçue comme une source d'insécurité et de chaos destinée à faciliter ensuite la prise de contrôle des ressources. En somme, la Chine apparaît désormais comme un partenaire plus stable et plus fiable dans la région.
Conclusion
Le « corollaire Trump » ne ressuscite pas la doctrine Monroe dans sa forme du XIXᵉ siècle ; il la transforme en une doctrine de souveraineté hémisphérique ancrée dans des principes national-populistes. Sa signification géopolitique réside dans la projection extérieure d'une vision America First : protection de l'autonomie américaine, limitation de la projection de puissances extérieures dans les Amériques, recentralisation des chaînes de valeur autour des États-Unis et légitimant un renouveau de l'activisme stratégique et politique des États-Unis dans l'ensemble de l'hémisphère occidental, y compris des changements de régime en Amérique latine.
Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique
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